Historiens & Géographes

Dossier   "Patrimoine Industriel"

N° 398, 401 et 405

Sous la direction de Gracia Dorel-Ferré

3 dossiers "in extenso"

 

LE PATRIMOINE INDUSTRIEL, I (dossier 1 "in extenso" ou partie par partie en utilisant le sommaire ci-dessous)
in Historiens & Géographes n° 398, mai 2007

Introduction, par Gracia Dorel‑Ferré

I.Identifier, inventorier, classer, par Gracia Dorel‑Ferré

II. Enseigner le patrimoine industriel

III Ressources sur le net

 

LE PATRIMOINE INDUSTRIEL, II (dossier 2 "in extenso" ou article par article en utilisant le sommaire ci-dessous)
in Historiens & Géographes n° 401, février 2008

I. Les matériaux du patrimoine industriel

a) Les traces matérielles, l'écrit et l'iconographie :

b) Les machines :

C) Les musées :

Il. Patrimoine et territoire

 

LE PATRIMOINE INDUSTRIEL, III (dossier 3 "in extenso" ou article par article en utilisant le sommaire ci-dessous)
in Historiens & Géographes n° 405, février 2009

I. Domaines de recherche et nouvelles problématiques

a) D’autres domaines :

b) D’autres approches sociales

c) Déconstruire, réutiliser, réhabiliter

II. Quelques associations du patrimoine industriel

III. Le net : ressources et sites (GDF, C.Picot, Jean-Marie Duquénois)

 

 

Historiens & Géographes

Dossier   "Patrimoine Industriel"

N° 398, 401 et 405

Sous la direction de Gracia Dorel-Ferré

3 dossiers "in extenso"

 

Introduction


Gracia Dorel-Ferré

Du ghetto au tableau....
Le Patrimoine industriel est apparu comme un axe d’études et de recherches vers la fin des années 70 en France au moment où la révolution industrielle fordiste était en train de péricliter : les grandes réons industrielles qui avaient massivement opté pour la métallurgie lourde et le textile étaient en crise, leurs usines fermaient les unes après les autres. Impuissants devant ce qui est rapidement devenu un véritable traumatisme social, des orga­nismes d’Etat décident dans un premier temps de raser les anciennes structures pensant que de leur disparition viendra la guérison, par l’oubli. Mais d’autres se lèvent contre cette atteinte à la mémoire et à l’identité des collectivités. C’est ainsi que certaines institutions comme Charbonnages de France préparent la mise en scène de leur passé avant de tourner la page : ce sera Lewarde, et le succès que l’on sait.

Nos manuels de géographie accordent alors tout un chapitre aux friches industrielles, expression péjorative, qui n’existe pas dans les autres langues. Le patrimoine industriel n’a pas encore acquis de contours spécifiques. On parle surtout, à la suite des anglais, d’archéologie industrielle. Pourtant, à Lille, dès 1970, des programmes de récupération de ce patrimoine adoptent des solutions nouvelles : les aménageurs urbains ont repéré non loin de la gare de nombreuses usines désaffectées : ils s’en emparent, et les transforment en bureaux, parking, crèches, etc. bien avant que cette démarche reçoive une sorte de consécration avec les aménagements récents de Roubaix et le nouveau concept, valorisant, cette fois, de friches patrimoniales, devenues des réserves d’aménagement urbain. C’est dans ce contexte d’aménagement de la ville de Lille qu’un cabinet d’architectes, Reichen et Robert, se spécialise dans la rénovation des friches industrielles. Après la transformation, en 1980, de l’usine Le Blan, une filature des années 30 de la banlieue lilloise, ils vont, en 1982, prendre en charge celle de l’usine Blin et Blin d’Elbeuf, un aménagement voulu par l’équipe municipale et réalisation modèle, sur bien des points. Puis quelques années plus tard, ce sera, en 1996, la réhabilitation soignée de la chocolaterie Menier, à Noisiel, pour le groupe Nestlé-France.
Ainsi, l’étude du patrimoine industriel n’a pas commencé comme un nouveau domaine scientifique à explorer, qui aurait fait appel, prioritairement, à l’Histoire et à la Géographie, dans ses dimensions sociales et économiques, mais comme un champ d’intervention des architectes, pour qui l’Histoire était un facteur d’identification d’un bâtiment, mais non un facteur d’explication. En même temps, les sociologues faisaient leur entrée, en s’intéressant au vécu et au temps récent de l’expérience humaine5. Pour les uns et les autres, le temps de l’histoire, la durée, n’existait pas ou peu. Là-dessus, l’Université française a ajouté ses propres contradictions : structurée en périodes étanches, elle ne savait que faire d’un contenu scientifique trans-chronologique. Jusqu’à présent, elle s’est refusée à l’enseigner, sauf au niveau des masters et des formations professionnelles. Aussi, le seul endroit où le patrimoine industriel était traité pour lui-même a-t-il été, le temps où elle a duré, la cellule « Patrimoine industriel » de l’Inventaire, au sein du Ministère de la Culture6. Mais, nouvelle contradiction, le patrimoine industriel y était défini suivant des critères issus de l’histoire de l’art, c’est-à-dire ceux de la monumentalité, dont l’historien-géographe, une nouvelle fois, ne pouvait totalement se satisfaire. On y reviendra plus loin.
C’est pourtant comme enseignement artistique que le patrimoine industriel est entré, par la petite porte, à l’Ecole, à la suite du Plan des Arts annoncé le 14 décembre 2000 et mis en application par circulaire l’année suivante. Il n’y a pas été admis comme une entrée privilégiée à l’étude des sociétés fabricantes, mais comme une activité d’expression, au même titre que l’éducation au cirque ou au cinéma. Enfin, plus récemment encore, l’idée que le patrimoine industriel local puisse aider à la mise en œuvre du programme d’histoire en première a été écrite explicitement, dans les Instructions Officielles8. Mais sans le définir, ni dans ses concepts, ni dans ses méthodes ni dans ses outils. D’où la nécessité, aujourd’hui de faire le point sur ce qu’est le patrimoine industriel pour les enseignants, comment l’enseigner, avec quoi, et dans quel but.
En effet, où que nous nous trouvions, les patrimoines de l’industrie, issus des XIX et XX siècle, ont profondément marqué notre environnement. Le bâti industriel s’il a été détruit, transformé, déformé, a été accompagné par un habitat, lui aussi souvent modifié avec le temps, mais dont les caractéristiques nous renvoient à des problématiques précises : les conditions, économiques et sociales, qui l’a vu naître, le sens de l’architecture choisie... Ce que l’on trouve autour de soi, c’est la matière de nos études de cas, à partir desquelles une problématique va pouvoir être formulée : loin d’être une occasion de repli sur soi, le milieu local est le moteur d’une recherche active, tournée vers la comparaison. Celle-ci ne se borne pas à lister les différences et les ressemblances, mais, bien plus, elle permet, au-delà des typologies, d’affiner et enrichir les problématiques. Le milieu local est alors tout naturellement porteur d’une réflexion générale.
Enfin, ce milieu local ne se découpe pas en tranches. Par essence il est la vie même, c’est-à-dire une réalité complexe, il est à la fois histoire et géographie. Le site, son inscription dans une multiplicité de réseaux qui ne se recouvrent pas toujours dans l’espace, a besoin de l’œil du géographe pour être étudié. Sa dimension historique est profondément liée à cet espace, aux paysages qui en résultent, aux différentes époques. Ainsi, l’enseignant retrouve, dans le patrimoine industriel, deux grandes préoccupations sur lesquelles l’Inspection Générale a orienté la réflexion de ces dernières années : du local à l’universel, d’une part, le lien entre l’histoire et la géographie, d’autre part.
Dernier point et non le moindre : le patrimoine industriel interroge la société sur le devenir qui lui est réservé, et la société répond, par l’indifférence ou au contraire par le projet. Conduire les élèves à prendre conscience de ce patrimoine qui les entoure et qui, pour la première fois dans l’Histoire, n’est pas exclusivement le legs des élites traditionnelles, est une sérieuse formation à la vie citoyenne. Car après tout, détruire ou conserver l’environnement relève bien de la responsabilité du citoyen. Et lorsque la société civile s’interpose, il n’est pas d’exemple que l’on soit passé outre, sans affrontements, du moins. Aujourd’hui, une réelle évolution est manifeste : on ne détruit plus comme dans les années 1980 et si on ne relève pas toutes les ruines de l’industrie –est-ce d’ailleurs possible et même souhaitable ? – on évalue les chances d’une réutilisation.

Notre dossier, le premier de ce genre, dans le cadre de notre revue, ne peut avoir l’ambition de balayer tous les aspects d’un domaine scientifique protéiforme. Dans une première partie, publiée dans ce numéro, on se bornera à rappeler trente ans de formation d’une jeune discipline, mettre en place les définitions et les concepts indispensables pour son enseignement et proposer des pistes pédagogiques de la maternelle à l’Université. Dans une deuxième partie, à venir, on évoquera quelques-unes des problématiques récentes et moins récentes relatives au patrimoine industriel. Un inventaire non exhaustif des pages web utiles pour l’enseignant ont été recensées. Elles concernent l’espace français dans ce dossier et l’espace mondial dans le dossier suivant.